Robert Bourgi, l’ancien conseiller officieux des présidents français dans la gestion des relations avec l'Afrique, a récemment fait des révélations fracassantes sur les pratiques de la "Françafrique". Cette relation informelle mais décisive entre Paris et ses anciennes colonies africaines a longtemps été marquée par des arrangements obscurs, des financements occultes et des influences néocoloniales qui ont pesé lourd sur le développement politique et économique du continent. Ces aveux, bien que significatifs, suscitent une question essentielle : pourquoi maintenant ?
Robert Bourgi, auteur de "MA vie en françafrique" |
Ce n’est pas la première fois qu’un acteur influent des relations Europe-Afrique décide de faire son mea culpa après avoir quitté les cercles de décision. Le timing de ces révélations n’est jamais anodin. Souvent, lorsque les acteurs n'ont plus à protéger leurs intérêts directs ou leur réputation politique, ils choisissent de révéler des vérités gênantes sur un passé peu reluisant.
Prenons l’exemple de Jacques Foccart, l'architecte de la Françafrique sous Charles de Gaulle, qui n’a révélé qu’à la fin de sa vie, les dessous des interventions françaises dans les affaires intérieures africaines. Tout comme Bourgi aujourd'hui, Foccart n’a reconnu ses actions que lorsqu’il était déjà retiré des affaires, laissant derrière lui un lourd héritage de coups d'État et de soutien à des régimes autocratiques en Afrique.
Un autre exemple est celui du Portugal et de son rôle dans les guerres coloniales. Ce n’est qu’en 2019, soit plus de 45 ans après la fin des guerres d’indépendance africaines, que le gouvernement portugais a officiellement reconnu les abus et les massacres commis par son armée en Angola, en Guinée-Bissau et au Mozambique. Ces confessions, bien qu'importantes, sont arrivées trop tard pour des milliers de victimes qui n’ont jamais vu justice.
L’Italie, elle aussi, a reconnu bien tardivement les atrocités commises pendant son occupation de la Libye au début du XXe siècle. En 2008, soit près d’un siècle après les faits, le gouvernement italien a finalement présenté des excuses officielles et a promis des réparations pour les souffrances infligées à la population libyenne sous son règne colonial.
Ces exemples montrent que l’Europe a souvent tardé à reconnaître sa responsabilité dans les maux infligés à l'Afrique. Les aveux de Bourgi, tout comme ceux de ses prédécesseurs, s’inscrivent dans cette tradition de culpabilité différée. Mais ces révélations, bien qu’utiles pour éclairer l’histoire, n’effacent en rien les décennies de pillage économique, de soutien à des régimes répressifs, et de déstabilisation politique orchestrée par les anciennes puissances coloniales.
Cela nous mène à la chute inévitable de cette chronique : l’Afrique doit aujourd’hui prendre ses responsabilités. Si les révélations comme celles de Bourgi servent de miroir pour rappeler les méfaits du passé, elles ne doivent pas devenir des excuses pour l’inaction. La véritable émancipation de l’Afrique ne pourra se faire qu’en cessant de regarder en arrière, pour affronter avec lucidité les défis du présent. La souveraineté africaine, tant politique qu'économique, est à portée de main si les nations africaines décident d’exploiter leurs richesses, d’investir dans leur jeunesse, et de bâtir des institutions fortes et transparentes.
Les confessions tardives des acteurs européens, aussi importantes soient-elles, ne changent rien à une réalité : l'avenir de l'Afrique est entre ses propres mains. L'heure n'est plus à la dénonciation, mais à l’action.
David Gbedia
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